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Les Maîtres Sonneurs

— J’avais affaire par ici, répondit-il, et, avant de m’en aller, je me reposais là, voilà tout.

— Tu n’as donc pas peur de te trouver comme ça, de nuit, dans un endroit si laid et si triste ?

— Peur de quoi, et pourquoi, Tiennet ? je ne t’entends point !

J’eus honte de lui confesser combien j’avais été sot. Cependant, je me risquai à lui demander s’il n’avait pas vu du monde et des bêtes dans la clairière.

— Oui, oui, répondit-il ; j’ai vu beaucoup de bêtes, et du monde aussi, mais tout ça n’est pas bien méchant, et nous pouvons nous en aller tous deux sans que mal nous en arrive.

Je m’imaginai, à sa voix, qu’il se gaussait un peu de ma frayeur, et je quittai le chêne avec lui ; mais quand nous fûmes hors de son ombrage, il me sembla que Joset n’avait ni sa taille ni sa figure des autres fois. Il me paraissait plus grand, portant plus haut la tête, marchant d’un pas plus vif, et parlant avec plus de hardiesse. Ça ne me rassura point, car toutes sortes de folies me traversèrent la remembrance. Ce n’était point seulement par ma grand’mère que je m’étais laissé conter que les gens qui ont la figure blanche, l’œil vert, l’humeur triste et la parole difficile à comprendre, sont portés à s’accointer avec les mauvais esprits, et en tout pays, les vieux arbres sont mal famés pour la hantise des sorciers et des autres.

Je n’osai respirer tant que nous fûmes dans la fougeraie, je m’attendais toujours à voir repasser ce qui m’était apparu en songe de l’âme ou en vérité des sens. Tout resta tranquille, et il n’y eut d’autre bruit que celui des branches sèches qui se cassaient à notre passage, ou d’un restant de glace qui craquait sous nos pieds.

Joseph, marchant le premier, ne prit point la grande allée, mais coupa à travers le fourré. On eût dit d’un lièvre au fait de tous les recoins, et il me mena si vite