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Troisième veillée

mais, au mouvement qui s’ensuivit, quelque chose fit feu des quatre pieds tout auprès de moi, et je vis un grand animal noir, que je ne pus envisager, bondir, prendre sa course et disparaître.

Tout aussitôt, de tous les points de la fougeraie, sautèrent, coururent, trépignèrent une quantité d’animaux pareils, qui me parurent gagner tous vers la clochette et vers la musique, lesquelles s’entendaient alors comme proches l’une de l’autre. Il y avait peut-être bien deux cents de ces bêtes, mais j’en vis au moins trente mille, car la peur me galopait rude, et je commençais à avoir des étincelles et des taches blanches dans la vue, comme la frayeur en donne à ceux qui ne s’en défendent point.

Je ne sais par quelles jambes je fus porté auprès du chêne ; je ne sentais plus les miennes. Je me trouvai là, tout étonné d’avoir fait ce bout de chemin comme un tourbillon de vent, et, quand je repris mon souffle, je n’entendis plus rien, au loin ni auprès ; je ne vis plus rien, ni sous l’arbre, ni sur la fougeraie ; et je ne fus pas bien sûr de n’avoir point rêvé un sabbat de musique folle et de mauvaises bêtes.

Je commençais à me ravoir et à regarder en quel lieu j’étais. La branchure du chêne couvre une grande place herbue, et il y faisait si noir que je ne voyais point mes pieds ; si bien que je me heurtai contre une grosse racine et tombai, les mains en avant, sur le corps d’un homme qui était allongé là comme mort ou endormi. Je ne sais point ce que la peur me fit dire ou crier, mais ma voix fut reconnue, et tout aussitôt celle de Joset me répondit :

— C’est donc toi, Tiennet ? Et qu’est-ce que tu viens faire ici à pareille heure ?

— Et toi-même, qu’y fais-tu, mon vieux ? lui dis-je, bien content et bien consolé de le trouver là. Je t’ai cherché tout le tantôt ; ta mère a été en peine de toi, et je te croyais retourné vers elle depuis longtemps.