Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/450

Cette page n’a pas encore été corrigée

car toutes deux étaient en train de tenir la promesse qu’elles avaient faite au grand bûcheux de lui donner de la survivance.

Tout d’un coup elles s’écrièrent, et Thérence, oubliant qu’elle n’était plus aussi légère qu’au printemps, s’élança quasi au travers du feu pour embrasser un homme que nous cachait la fumée épaisse des feuilles humides. C’était son brave homme de père, qui bientôt n’eut plus assez de bras et de bouche pour répondre à toutes nos caresses. Après la première joie, nous lui demandâmes nouvelles de Joseph et vîmes sa figure s’obscurcir et ses yeux se remplir de larmes.

— Il vous l’avait annoncé, répondit-il, que vous me reverriez plus tôt que je ne pensais ! Il sentait comme un avertissement de son sort, et Dieu, qui amollissait l’écorce de son cœur en ce moment-là, lui conseillait sans doute de réfléchir sur lui-même.

Nous n’osions plus faire de questions. Le grand bûcheux s’assit, ouvrit sa besace et en tira les morceaux d’une musette brisée.

— Voilà tout ce que je vous rapporte de ce malheureux enfant, dit-il. Il n’a pu échapper à son étoile. Je pensais avoir adouci son orgueil, mais, pour tout ce qui tenait de la musique, il devenait chaque jour plus hautain et plus farouche. C’est ma faute, peut-être ! Je voulais le consoler des peines d’amour en lui montrant son bonheur dans son talent. Il a goûté au moins les douceurs de la louange ; mais à mesure qu’il s’en nourrissait, la soif lui en venait plus acre. Nous étions loin : nous avions poussé jusque dans les montagnes du Morvan, où il y a beaucoup de sonneurs encore plus jaloux que ceux d’ici, mais non pas tant pour leurs intérêts que pour leur amour-propre. Joseph a manqué de prudence, il les a offensés en paroles, dans un repas qu’ils lui avaient offert très-honnêtement et à bonnes intentions d’abord. Par malheur, je ne l’y avais point suivi, me trouvant un peu