Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/44

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
Les Maîtres Sonneurs

— Oh ! ma fine, si vous êtes des bois, je suis des blés, que je lui répondis en riant.

J’allais cependant la questionner davantage quand son père vint me la reprendre.

— Allons, fit-il, après avoir donné une poignée de main à mon père, en vous remerciant, mes braves gens. Et toi, petite, embrasse donc ce bon garçon qui t’a portée comme une châsse.

La fillette ne se fit point prier ; elle n’était pas encore dans l’âge de la honte, et, n’y entendant pas malice, elle n’y faisait point de façons. Elle m’embrassa sur les deux joues, en me disant :

— Merci à vous, mon beau serviteur. Et, passant aux bras de son père, elle fut remise sur son matelas et parut pressée de reprendre son somme, sans aucun souci des cahots et des aventures du chemin.

— Encore adieu ! nous dit son père, qui me prit le genou pour me replacer en croupe sur la jument. Un beau garçon ! fit-il à mon père, en me regardant, et aussi avancé dans l’âge que vous dites qu’il a, que ma petite dans le sien.

— Il se sent bien aussi un peu d’en être malade, répondit mon père ; mais, le bon Dieu aidant, le travail guérira tout. Excusez-nous si nous prenons les devants, nous allons loin et voulons arriver chez nous devant la nuit.

Là-dessus, mon père talonna notre monture, qui prit le trot, et moi, me retournant, je vis que l’homme à la charrette coupait sur la droite et s’en allait à l’encontre de nous.

Je pensai bientôt à autre chose, mais Brulette m’étant revenue dans la tête, je songeai aux francs baisers que m’avait donnés cette petite fille étrangère, et me demandai pourquoi Brulette répondait par des tapes à ceux que je lui voulais prendre ; et, comme la route était longue et que je m’étais levé avant jour, je m’endormais derrière mon père, mêlant, je ne sais comment,