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peut-être bien, en marquerait son déplaisir d’une manière ou de l’autre.

Ce qui me rendit mon calcul assez raisonnable, c’est que cette âme ne me disait rien et ne s’occupait point de moi, connaissant peut-être que je n’étais point là à mauvaises intentions contre sa pauvre carcasse.

Un bruit différent des autres arracha pourtant mes yeux du charme qui les retenait. Je regardai dans le caveau où était Joseph, et j’y vis une autre chose bien laide et bien étrange.

Joseph était toujours debout et assuré, en face d’un être abominable, tout habillé de peau de chien, portant des cornes dans une tête chevelue, avec une figure rouge, des griffes, une queue, et faisant toutes les sauteries et grimaces d’un possédé. C’était fort vilain à voir, et cependant je n’en fus pas longtemps la dupe, car il avait beau changer sa voix, il me semblait reconnaître celle de Doré-Fratin, le cornemuseux de Pouligny, un des hommes les plus forts et les plus batailleurs de nos alentours.

— Tu as beau répondre, disait-il à Joseph, que tu te ris de moi et que tu n’as aucune peur de l’enfer, je suis le roi des musiqueux et, sans ma permission, tu n’exerceras point que tu ne m’aies vendu ton âme.

Joseph lui répondit : — Qu’est-ce qu’un diable aussi sot que vous ferait de l’âme d’un musicien ? Il ne s’en pourrait point servir.

— Fais attention à tes paroles, dit l’autre. Ne sais-tu point qu’il faut ici se donner au diable, ou être plus fort que lui ?

— Oui, oui, répliqua Joseph. Je sais la sentence : il faut tuer le diable, ou que le diable vous tue.

Sur ce mot-là, je vis Huriel et son père sortir d’une voûte de côté et s’approcher du diable comme pour, lui parler ; mais ils furent retenus par les autres sonneurs qui se montrèrent autour de lui ; et Carnat le père, s’adressant à Joseph :