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tourner la tête, et je vis, juste derrière moi, à l’entrée de la galerie par où j’étais venu, une figure qui me glaça les sens.

C’était comme un seigneur des temps passés, portant une cuirasse de fer, une pique bien affilée et des habits de cuir d’une mode qu’on ne voit plus. Mais le plus affreux de sa personne était sa figure, qui offrait la véritable ressemblance d’une tête de mort.

Je me remis un peu, me disant que c’était un déguisement pris par un de la bande pour éprouver Joseph ; mais, en y pensant mieux, je vis que le danger était pour moi, puisque dans ce cas, me trouvant aux écoutes, il allait me faire un mauvais parti.

Mais, encore qu’il pût me voir comme je le voyais, il ne bougea point et resta planté à la manière d’un fantôme, moitié dans l’ombre, moitié dans la clarté qui venait d’en bas ; et comme cette clarté allait et venait selon qu’on l’agitait, il y avait des moments où, ne le distinguant plus, je croyais l’avoir eu seulement dans ma tête ; mais tout d’un coup, il reparaissait clairement, sauf ses jambes qui restaient toujours dans l’obscur, derrière une espèce de marche, de telle sorte que je m’imaginais le voir flotter comme une figure de nuages.

Je ne sais combien de minutes je passai à me tourmenter de cette vision, ne pensant plus du tout à épier Joseph, et craignant de devenir fou pour avoir tenté plus qu’il n’était en moi d’affronter. Je me souvenais d’avoir vu, dans les salles du château, une vieille peinture qu’on disait être le portrait d’un ancien guerrier bien mal commode, que le seigneur du lieu, lequel était son propre frère, avait fait jeter en l’oubliette. Le revêtissement de fer et de cuir que j’avais là devant moi, sur une figure de mort desséchée, était si ressemblant à celui de l’image peinte, que l’idée me venait bien naturellement d’une âme en colère et en peine, qui venait épier la profanation de son sépulcre, et qui,