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eût souhaité voir revenir les Carnat de leur aversion pour lui.

La manière dont le carme en appelait à la générosité de Joseph flatta ce garçon dans son amour-propre.

— Vous avez raison, père Nicolas, fit-il ; et, d’une voix élevée :

— Allons, François, dit-il au fils Carnat, pourquoi bouder les amis ? Tu n’as pas si bien joué que tu es en état de le faire, j’en suis certain ; mais tu auras ta revanche une autre fois ; et, d’ailleurs, le jugement n’en est pas encore porté. Ainsi, au lieu de nous tourner le dos, viens boire avec nous, et tenons-nous aussi tranquilles que deux bœufs attelés au même charroi.

Chacun approuva Joseph, et Carnat, craignant de paraître trop jaloux, accepta son offre et vint s’asseoir non loin de lui. C’était bien jusque-là ; mais Joseph ne se put défendre de marquer combien il estimait mieux son savoir que celui des autres, et, dans les honnêtetés qu’il fit à son concurrent, il prit des airs de protection qui le blessèrent d’autant plus.

— Tu parles comme si tu tenais la maîtrise, dit Carnat, qui était pâle et hautain, et tu ne tiens rien encore. Ce n’est pas toujours au plus subtil de ses doigts et au plus adroit de ses inventions que ceux qui s’y connaissent donnent la meilleure part. C’est quelquefois à celui qui est le mieux connu et le mieux estimé au pays, et qui, par là, promet un bon camarade aux autres ménétriers.

— Oh ! je m’y attends bien, répliqua Joseph. J’ai été longtemps absent, et, encore que je me pique de mériter autant d’estime qu’un autre, par ma conduite, je sais de reste qu’on se rejettera sur la mauvaise raison que je suis peu connu. Eh bien, ça m’est égal, François ! Je ne m’attendais point à trouver ici une assemblée de vrais musiciens, capables de me juger, et assez amis du beau savoir pour préférer mon talent à