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de sonner une demi-heure durant sur l’ancienne musette du pays, à petit bourdon.

Il en sonna fort mal, étant fort ému, et je vis que cela faisait plaisir à la plus grande partie des sonneurs. Ils gardèrent le silence, comme ils avaient coutume de faire pour se donner l’air important ; mais les autres assistants le gardèrent aussi, ce qui fâcha bien le pauvre garçon, car il avait espéré un peu d’encouragement, et son père commença de ruminer en grand dépit, laissant voir la vengeance et la méchanceté de son naturel.

Quand ce vint à Joseph, il s’arracha d’auprès de sa mère, qui, tout le temps, l’avait supplié, en lui parlant bas, de ne se point mettre sur les rangs. Il monta sur l’arche, tenant avec beaucoup d’aisance sa grande cornemuse bourbonnaise qui éblouit tous les yeux par ses ornements d’argent, ses miroirs et la longueur de ses bourdons. Joseph avait l’air fier et regardait comme en pitié ceux qui l’allaient écouter. On remarquait la bonne mine qui lui était venue, et les jeunesses du lieu se demandaient si c’était là Joset l’ébervigé, qu’on avait jugé si simple et qu’on avait vu si malingret. Toutefois il avait un air de hauteur qui ne plaisait point, et, dès qu’il eut rempli la salle du bruit de son instrument, il y eut quasi plus de peur que de plaisir dans la curiosité qu’il causait aux fillettes.

Mais comme il ne manquait pas là de monde qui s’y connaissait, et surtout les chantres de la paroisse, et puis les chanvreurs qui sont grands experts en idées de chansons, et mêmement des femmes âgées qui étaient bonnes gardiennes des meilleures choses du temps passé, Joseph fut vitement goûté, tant pour la manière de faire sonner son instrument sans y prendre aucune fatigue, et de donner le son juste, que pour le goût qu’il montrait en jouant des airs nouveaux d’une beauté sans pareille. Et, comme il lui fut fait observation, par les Carnat, que sa musette, mieux sonnante,