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remplir et d’apporter les pichets. J’espère que la Mariton et ses aides de cuisine suffiront au restant du service.

Je ne me le fis point dire deux fois ; j’allai avertir mes compagnons de l’emploi que je prenais pour le bien de la chose, et je fis la besogne de sommelier, qui me permit de tout voir et de tout entendre.

Joseph et Carnat le jeune étaient chacun au bout d’une grande table, régalant toute la sonnerie, chacun par moitié. Il y régnait plus de bruit que de plaisir. On criait et chantait, pour se dispenser de causer, car on était sur la défensive du part et d’autre, et on y sentait les intérêts et les jalousies en émoi.

J’observai bientôt que tous les sonneurs n’étaient pas, comme je l’avais craint, du parti des Carnat contre Joseph ; car, si bien que se tienne une confrérie, il y a toujours quelque vieille pique qui y met le désaccord ; mais je vis aussi, peu à peu, qu’il n’y avait là rien de rassurant pour Joseph, parce que ceux qui ne voulaient point de son concurrent ne voulaient pas de lui davantage, et souhaitaient voir mandrer le nombre des ménétriers par la retraite du vieux Carnat. Il me parut même que c’était le grand nombre qui pensait ainsi, et j’augurai que les deux aspirants seraient évincés.

Après qu’on eut festiné environ deux heures, le concours fut ouvert. Le silence ne fut point requis, car la cornemuse, en une chambre, n’est point un instrument qui s’embarrasse des autres bruits, et les chanteurs ne s’y obstinent pas longtemps. Il vint une foule de monde aux alentours de la maison. Mes cinq camarades grimpèrent du dehors sur la croisée ouverte ; je ne me plaçai pas loin d’eux. Huriel et son père ne bougèrent de leur coin. Carnat, désigné par le sort pour commencer, monta sur l’arche au pain, et, encouragé par son père, qui ne se pouvait retenir de lui marquer la mesure avec ses sabots, commença