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» Or nos bûcheux, en se promenant dans les cabarets des environs, ont entendu et surpris les mauvais desseins de la bande des sonneurs de votre pays, lesquels sont résolus d’évincer Joseph, s’ils le peuvent, en faisant fi de sa science. S’il n’y risquait que le dépit d’endurer une injustice et une contrariété, ce ne serait point assez pour m’inquiéter comme vous voyez ; mais mon père et mon frère, qui sont maîtres sonneurs et qui ont voix à tout chapitre de musique, n’importe en quel pays ils se trouvent, ont cru de leur devoir d’aller réclamer leur place au concours, à seules fins d’y soutenir Joseph. Et puis, au bout de tout cela, il y a encore quelque chose que je ne sais point, parce que les sonneurs ont un secret de confrérie dont mon frère et mon père ne parlaient entre eux qu’à mots couverts et dans des paroles où je n’ai pu rien entendre. De toutes manières, soit dans leur prétention au jugement du concours, soit dans quelque autre cérémonie où l’on dit que les épreuves sont dures, il y a du danger pour eux, car ils ont pris, sous leurs sarraux, les petits bâtons de courza qui sont une arme dont vous avez vu la morsure ; et mêmement ils ont affilé leurs serpes et les ont cachées aussi sur eux, se disant l’un à l’autre, vers le matin :

— Le diable soit de ce garçon, qui n’a de bonheur pour lui ni pour les autres ! Il le faut pourtant secourir, car il va se jeter dans la gueule du loup, sans souci de sa peau ni de celle de ses amis.

» Et mon frère se plaignait, disant qu’à la veille de se marier, il ne serait pas content de fendre encore une tête ou de ne point rapporter la sienne entière. À quoi mon père répondait qu’il n’y fallait point porter de mauvais pronostics, mais aller devant soi, où l’humanité commandait de secourir son prochain.

» Comme ils avaient cité notre ami Léonard parmi ceux qui avaient recueilli les mauvais bruits, j’ai questionné ce Léonard un moment à la hâte, et il m’a