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sur la dure, à vivre sobrement, et à devenir un forestier aussi solide que ceux qui l’entouraient. Je ne m’en trouvais pas plus mal portant, et même je sentais bien mon esprit y devenir plus léger et mes idées plus claires. Beaucoup de choses que je n’entendais point sans de grandes explications au commencement, se débrouillaient peu à peu d’elles-mêmes devant mes yeux, et elle ne riait plus de mes questions lourdaudes. Elle causait avec moi sans ennui et marquait de la confiance dans mes jugements.

Pourtant une bonne quinzaine se passa devant que j’eusse un peu d’espérance, et comme je me plaignais à Huriel de n’oser point dire un mot à une fille qui me paraissait trop au-dessus de moi pour me vouloir jamais regarder, il me répliqua :

— Sois tranquille, Tiennet, ma sœur a le cœur le plus juste qui existe, et si, comme toutes les jeunes filles, elle a ses moments de fantaisie, il n’y a point d’imagination en elle qui ne cède à l’amour d’une belle vérité et d’une franche réparation.

Les discours d’Huriel, qui étaient aussi ceux de son père avec moi, me baillèrent grand courage, et Thérence reconnut en moi un si bon serviteur, j’étais si attentionné à ce qu’elle n’eût peine, fatigue ou impatience d’aucune chose dépendant de mon pouvoir ; j’étais si soigneux de ne regarder aucune autre fille, et d’ailleurs j’en avais si peu d’envie ; enfin, je me comportais avec un respect si honnête et qui lui marquait si bien l’état que je faisais de son mérite, qu’elle y ouvrit les yeux, et je la vis plusieurs fois me regarder courir au-devant de ses souhaits, avec un air de réflexion très-doux, et m’en payer par des remercîments qui me rendaient fier. Elle n’était pas habituée, comme Brulette, à se voir prévenir, et n’eût pas su, comme elle, y inviter gentiment. Elle paraissait même toujours étonnée qu’on y songeât ; mais quand cela arrivait, elle en marquait une grande obligation, et je ne me sentais pas