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Première veillée

accorte et preste à servir le monde, sans se laisser offenser…

— On est toujours offensée en mauvaises paroles, dit le père Brulet, et ça doit coûter gros à une honnête femme de s’habituer à ces manières-là. Songez donc comme votre fils en sera mortifié, quand, par rencontre, il entendra sur quel ton les rouliers et les colporteurs plaisanteront avec sa mère !

— Par bonheur qu’il est si simple !… répondit la Mariton en regardant Joseph.

Je le regardai aussi, et m’étonnai qu’il n’entendît rien du discours que sa mère ne tenait point à voix si basse que je n’eusse ramassé le tout ; et j’en augurai qu’il écoutait gros, comme nous disions dans ce temps-là, pour signifier une personne dure de ses oreilles.

Il se leva bientôt et s’en fut joindre Brulette en sa petite bergerie, qui n’était qu’un pauvre hangar en planches rembourrées de paille, où elle tenait un lot d’une douzaine de bêtes.

Il s’y jeta sur les bourrées, et comme je l’avais suivi, par crainte d’être jugé curieux si je restais sans lui à la maison, je vis qu’il pleurait en dedans, encore que ses yeux n’eussent point de larmes.

— Est-ce que tu dors, Joset, lui dit Brulette, que te voilà couché comme une ouaille malade ? Allons, donne-moi ces fagots où te voilà étendu, que je fasse manger la feuille à mes moutons.

Et ce faisant, elle se prit à chanter ; mais tout doucettement, car il ne convient guère de brailler un jour de première communion.

Il me parut que son chant faisait sur Joseph l’effet accoutumé de le retirer de ses songes ; il se leva et s’en fut, et Brulette me dit :

— Qu’est-ce qu’il a ? je le trouve plus sot que d’accoutumance.

— Je crois bien, lui répondis-je, qu’il a fini par entendre qu’il va être loué et quitter sa mère.