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du tout au tout, et, versant des larmes comme un enfant, il se laissa choir à terre, déchirant ses habits et s’arrachant les cheveux, avec tant de chagrin et de colère contre lui-même, que j’eus grand’peine à l’apaiser. Par bonheur que sa santé est devenue pareille à la tienne, car, un an plus tôt, ce désespoir, qui le secouait si fort, l’aurait tué.

» Je passai le restant du jour et toute la veillée seul à seul avec lui à tâcher de lui remettre l’esprit. Ce n’était point facile pour moi. D’une part, je sais que mon fils, depuis le premier jour où il a vu Brulette, s’est pris pour elle d’une amour très-obstinée, et qu’il n’a été raccommodé avec la vie que le jour où Joseph ne s’est plus mis en travers de son espérance. De l’autre part, j’ai pour Joseph une grande amitié aussi, et je sais que Brulette est dans son idée depuis qu’il est au monde. Il me fallait sacrifier l’un des deux, et je me demandais si je ne serais pas un égoïste de père en me prononçant pour la satisfaction de mon fils au détriment de mon élève.

» Tiennet, tu ne connais plus Joseph, et peut-être ne l’as-tu jamais bien connu. Ma fille Thérence a pu t’en parler un peu sévèrement. Elle ne le juge pas de la même manière que moi. Elle le croit égoïste, dur et ingrat. Il y a du vrai là-dedans ; mais ce qui l’excuse devant mes yeux ne peut l’excuser devant les yeux d’une jeunesse comme elle. Les femmes, mon petit Tiennet, ne nous demandent que de les aimer. Elles ne prennent que dans leur cœur la subsistance de leur vie. Dieu les a faites comme ça, et nous en sommes heureux quand nous sommes dignes de le comprendre.

— Il me semble, observai-je au grand bûcheux, que je le comprends à cette heure, et que les femmes ont grandement raison de ne vouloir de nous que notre cœur, car c’est la meilleure chose que nous ayons.

— Sans doute, sans doute, mon fils ! reprit ce grand brave homme. J’ai toujours pensé ainsi. J’ai aimé la