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Par là, je vis bien qu’une femme n’est jamais perdue tant qu’elle a une bonne protection, mais qu’il en faut une franche et finale, car cent ne valent rien, et tant plus s’en mêlent, tant plus la rabaissent et lui font tort.

Dans ce moment-là, ma tante prit Huriel à part, et, l’amenant auprès de moi, lui dit :

— Je vous veux faire trinquer une verrée de mon vin à ma santé, car vous me réjouissez l’âme de si bien danser, et de mettre si bien en train le monde de ma noce.

Huriel avait regret de quitter Brulette pour un moment ; mais la maîtresse du logis était fort décidée, et il n’y avait pas moyen de lui refuser une politesse.

Ils s’assirent donc à un bout de table, qui se trouvait vide, une chandelle posée entre eux, et se voyant face à face. Ma tante Marghitonne était, comme je vous l’ai dit, une toute petite femme qui avait oublié d’être sotte. Elle portait la plus drôle de figure qu’on pût voir, très-blanche et très-fraîche, encore qu’elle eût la cinquantaine et mis au monde quatorze enfants. Je n’ai jamais vu un si long nez, avec de si petits yeux, enfoncés de chaque côté comme par une vrille, mais si vifs et si malins qu’on ne les pouvait regarder sans avoir envie de rire et de bavarder.

Je vis pourtant qu’Huriel était sur ses gardes, et qu’il se méfiait du vin qu’elle lui versait. Il trouvait dans son air quelque chose de moqueur et de curieux, et, sans savoir trop pourquoi, il se mettait en défense. Ma tante, qui, depuis le matin, n’avait pas reposé une minute de remuer et de causer, avait grand’soif pour de bon, et n’eut point avalé trois petits coups, que le bout pointu de son grand nez devint rouge comme une senelle, et que sa grande bouche, où il y avait des dents blanches et serrées pour trois personnes plutôt que pour une, se mit à rire jusqu’aux oreilles. Pourtant, elle n’était pas dérangée dans son jugement,