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pas au mariage et as-tu donc fait la croix sur ce chapitre-là ?

— Oh ! quant à moi, Tiennet, je crois que oui, n’en déplaise à la volonté du bon Dieu ! me voilà bientôt fille majeure, et je crois qu’à attendre l’envie du mariage, je l’ai laissée passer sans y prendre garde.

— C’est plutôt maintenant qu’elle commence peut-être, ma mignonne. Le goût du divertissement te quitte, l’amour des enfants t’est venu, et je te vois t’accommoder de la vie tranquille du ménage ; mais il n’en est pas moins vrai que tu es toujours dans ton printemps, comme voilà la terre en fleurs. Tu sais que je ne t’en conte plus ; ainsi tu peux me croire quand je te dis que tu n’as jamais été si jolie, encore que tu sois devenue un peu pâle, comme était la belle Thérence des bois. Mêmement, tu as pris un petit air triste comme le sien, qui se marie assez bien avec tes coiffes unies et tes robes grises. Enfin, je crois que ton dedans a changé et que tu vas devenir dévote, si tu n’es amoureuse.

— Ne me parle pas de cela, mon cher ami, s’écria Brulette. J’aurais pu me tourner vers l’amour ou vers le ciel, il y a un an. Je me sentais, comme tu dis, changée en dedans ; mais me voilà attachée aux peines de ce monde, sans y trouver ni la douceur de l’amour, ni la force de la religion. Il me semble que je suis liée à un joug et que je pousse en avant, de ma tête, sans savoir quelle charrue je traîne derrière moi. Tu vois que je n’en suis pas plus triste et que je n’en veux pas mourir ; mais je confesse que j’ai regret à quelque chose dans ma vie, non point à ce qui a été, mais à ce qui aurait pu être.

— Voyons, Brulette, lui dis-je en m’asseyant auprès d’elle et lui prenant la main, c’est peut-être l’heure de la confiance. Tu peux, à présent, me dire tout sans crainte de ma jalousie ou de mon chagrin. Je me suis guéri de souhaiter autre chose que ce que tu peux