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— Et c’est le tort que tu as, Joseph ; tu étais là chez des amis qui remplaçaient ceux que tu avais quittés…

— Enfin, c’est mon idée, dit-il un peu sèchement ; mais, prenant un ton plus doux, il ajouta : — Tiennet ! Tiennet ! il y a des choses qu’on peut dire, et il y en a aussi qu’on doit taire. Tu m’as fait du mal aujourd’hui, en me donnant à entendre que je ne serais peut-être jamais agréé de Brulette.

— Joseph, je ne t’ai rien dit de pareil, par la raison que je ne sais point si tu songes à ce que tu dis là.

— Tu le sais, reprit-il, et mon tort est de n’en avoir jamais ouvert mon cœur avec toi. Mais que veux-tu ? je ne suis point de ceux qui se confessent aisément, et les choses qui me tracassent le plus sont celles dont je m’explique le moins volontiers. C’est mon malheur, et je crois que je n’ai point d’autre maladie qu’une idée toujours tendue aux mêmes fins, et toujours rentrée au moment qu’elle me vient sur les lèvres. Écoute-moi donc, pendant que je peux causer, car Dieu sait pour combien de temps je vas redevenir muet. J’aime, et je vois que je ne suis point aimé. Il y a si longues années qu’il en est ainsi (car j’aimais déjà Brulette alors qu’elle était une enfant), que je suis accoutumé à ma peine. Je ne me suis jamais flatté de lui plaire, et j’ai vécu avec la croyance qu’elle ne ferait jamais attention à moi. À présent, j’ai vu par sa venue en Bourbonnais que j’étais quelque chose pour elle, et c’est ce qui m’a rendu la force et la volonté de ne point mourir. Mais je sais très-bien qu’elle a vu là-bas quelqu’un qui lui conviendrait mieux que moi.

— Je n’en sais rien, répondis-je ; mais si cela était, ce quelqu’un-là ne t’aurait pas donné sujet de plainte ou de reproche.

— C’est vrai, reprit Joseph, mon dépit est injuste ; d’autant plus qu’Huriel, connaissant Brulette pour une honnête fille, et n’étant pas en position de se marier