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restaurer en cette auberge pleine de mouches, nous emporterons notre dîner sous quelque feuillade, ou au bord de l’eau, et y passerons la soirée à deviser jusqu’à l’heure de dormir.

Ainsi fut fait. Je retins deux chambres, l’une pour les filles, l’autre pour les hommes, et voulant régaler une bonne fois le père Bastien à mon idée, m’étant aperçu qu’à l’occasion il était beau mangeur, je fis remplir une grande corbeille de ce qu’il y avait de mieux en pâtés, pain blanc, vin et brandevin, et l’emportai au dehors de la ville. Il est heureux que la mode de boire le café et la bière ne régnât pas encore, car je n’y aurais pas regardé et y eusse laissé le restant de ma poche.

Sainte-Sevère est un bel endroit coupé en ravins bien arrosés, et réjouissant à la vue. Nous fîmes choix d’un tertre élevé, où l’air était si vif que, du repas, il ne resta ni une croûte, ni une verrée de boisson.

Après quoi, le grand bûcheux se sentant tout gaillard, prit sa musette, qui ne le quittait jamais, et dit à Joseph :

— Mon enfant, on ne sait qui vit ou qui meurt ; nous nous quittons, selon toi, pour deux ou trois jours ; selon moi, tu as l’idée d’une plus longue départie ; mais peut-être que, selon Dieu, nous ne devons point nous revoir. Voilà ce qu’il faut toujours se dire quand, au croisement d’un chemin, chacun tire de son côté. J’espère que tu t’en vas content de moi et de mes enfants, comme je suis content de toi et de tes amis qui sont là ; mais je n’oublie point que le principal a été de t’enseigner la musique, et j’ai regret aux deux mois de maladie qui t’ont forcé de t’arrêter. Je ne prétends pas que j’aurais pu faire de toi un grand savant, je sais qu’il y en a dans les villes, messieurs et dames, qui sonnent sur des instruments que nous ne connaissons pas, et qui lisent des airs écrits comme on lit la parole écrite dans les livres. Sauf le plain-chant, que j’ai