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il ajouta d’un air qui ne sentait point le cagot : « Maître Huriel, nous sommes tous pécheurs, et il n’y a qu’un juge qui soit juste. Lui seul, qui n’a jamais fait le mal, est en droit de condamner ou d’absoudre les fautes des hommes. Recommandez-vous à lui, et comptez que tout ce qui est à votre décharge, il vous en fera profiter dans sa miséricorde. Quant aux juges de la terre, bien sot et bien lâche serait celui qui voudrait vous envoyer devant eux, qui sont faibles ou endurcis comme des créatures fragiles. Repentez-vous, vous aurez raison, mais ne vous trahissez pas, et quand vous sentirez la grâce vous appeler au tribunal de pénitence, n’ayez affaire qu’à un bon prêtre, voire à un pauvre carme déchaussé comme le frère Nicolas.

Et vous, mon enfant, dit encore le bonhomme, qui se sentait en goût de prêcher et qui voulut me donner aussi son coup de goupillon, apprenez à modérer vos appétits et à surmonter vos passions. Évitez les occasions de pécher ; fuyez les querelles et les rixes sanglantes…

— C’est bon, c’est bon, frère Nicolas, dit Huriel en l’interrompant. Vous prêchez un converti, et vous n’avez pas de pénitence à commander à celui dont les mains sont restées pures. Adieu. Partez, je vous dis, il est temps.

Le moine s’en alla en nous donnant la main, d’un grand air de franchise et de bonté. Quand il fut loin, Huriel, me prenant le bras, me ramena vers l’arbre où j’avais vu le carme en prières :

— Tiennet, me dit-il, je n’ai aucune méfiance de toi, et, si j’ai fait semblant de rappeler ce bon frère au silence, c’est pour le rendre prudent. Au reste, il n’y a guère de danger de son côté : il est le propre oncle de notre chef Archignat, et c’est, en outre, un homme sûr, toujours en bonnes relations avec les muletiers, qui l’aident souvent à transporter les denrées de sa collecte d’un lieu à l’autre ; mais si je suis tranquille sur lui et