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Quatorzième veillée

injuste, ou vous avez des raisons pour haïr Brulette. Eh bien, dites-les-moi, en bonne chrétienne, car il est possible que je la blanchisse du mal dont vous l’accusez.

— Non, vous ne la blanchirez pas, car je la connais, s’écria Thérence, qui ne se pouvait surmonter davantage ! Ne vous imaginez pas que je ne sache rien d’elle ! Je m’en suis assez tourmenté l’esprit, j’ai assez questionné Joseph et mon frère pour juger, à sa conduite, qu’elle est un cœur ingrat et un esprit trompeur. C’est une coquette, voilà ce qu’elle est, votre Berrichonne, et toute personne franche a le droit de la détester.

— Voilà un reproche bien dur, répondis-je sans me troubler. Sur quoi vous fondez-vous ?

— Et ne sait-elle point, s’écria Thérence, qu’il y a ici trois garçons qui l’aiment et dont elle se joue ? Joseph qui en meurt, mon frère qui s’en défend, et vous qui tâchez d’en guérir ? Prétendez-vous me faire accroire qu’elle n’en sait rien et qu’elle a une préférence pour l’un des trois ? Non ! elle n’en a pour personne ; elle ne plaint pas Joseph, elle n’estime pas mon frère, elle ne vous aime pas. Vos tourments l’amusent, et, comme elle a, en son village, une cinquantaine d’autres galants, elle prétend vivre pour tous et pour aucun. Eh bien, peu m’importe quant à vous, Tiennet, puisque je ne vous connais point. Mais quant à mon frère, qui est si souvent éloigné de nous par son état et qui nous quitte dans un moment où il pourrait rester… et quant à Joseph qui en est malade et quasi hébété… Ah ! tenez, votre Brulette est bien coupable envers tous deux, et devrait rougir de ne pouvoir dire une bonne parole ni à l’un ni à l’autre.

En ce moment, Brulette, qui nous écoutait, se montra, et, mal habituée à être traitée de la sorte, mais contente cependant d’entendre expliquer la conduite d’Huriel, elle s’assit auprès de Thérence et lui prit la main d’un air sérieux, où il y avait de la compassion