Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
163
Quatorzième veillée

-Bûcheux, de la sœur d’Huriel, de la vierge des bois, qui a tant prié pour moi et veillé à ma vie, je serais si coupable, que je ne pourrais me le pardonner.

— L’idée ne t’est donc jamais venue que son amitié pouvait se changer en amour ?

— Non, Brulette, jamais !

— C’est singulier, Joset !

— Pourquoi ça ? N’étais-je point accoutumé, dès mon enfance, à être plaint pour ma bêtise et secouru dans ma faiblesse ? Est-ce que l’amitié que tu m’as toujours marquée, Brulette, m’a jamais rendu vaniteux au point de croire… Ici Joseph devint rouge comme le feu, et ne put dire un mot de plus.

— Tu as raison, lui répondit Brulette, qui était prudente et avisée autant que Thérence était prompte et sensible. On peut beaucoup se tromper sur les sentiments qu’on donne ou qu’on reçoit. J’ai eu une folle idée sur cette fille, et puisque tu ne la partages point, c’est qu’elle n’est point fondée. Thérence doit être, comme je le suis encore, ignorante de ce qu’on appelle la vraie amour, en attendant que le bon Dieu lui commande de vivre pour celui qu’il lui aura choisi.

— N’importe, dit Joseph, je veux et je dois quitter ce pays.

— Nous sommes venus pour te ramener, lui dis-je, aussitôt que tu t’en sentiras la force.

Contre mon attente, il rejeta vivement cette idée. — Non, non, dit-il, je n’ai qu’une force, c’est ma volonté d’être grand musicien, pour retirer ma mère avec moi et vivre honoré et recherché dans mon pays. Si je quitte celui-ci, j’irai dans le haut Bourbonnais jusqu’à ce que je sois reçu maître sonneur.

Nous n’osâmes point lui dire qu’il ne nous semblait pas devoir jouir jamais de bons poumons.

Brulette lui parla d’autre chose, et moi, très-occupé de la découverte qu’elle venait de me faire faire sur Thérence, porté, je ne sais pourquoi, à m’inquiéter