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Les Maîtres sonneurs

— Je t’en remercie, mon bon Tiennet, me dit Brulette, sortant de la chambre de Thérence, et j’en remercie les braves gens qui nous font si bonne réception ; mais si je reste, c’est à la condition qu’on ne fera point ici de dépense pour nous, et que nous serons libres tous les deux de vivre à nos frais comme nous l’entendrons.

— Il en sera ce que vous voudrez, dit Huriel, car si la crainte de nous être à charge doit vous faire partir plus vite, nous aimons mieux renoncer au plaisir de vous servir. Mais souvenez-vous seulement d’une chose, c’est que mon père gagne de l’argent et moi aussi, et que nous ne connaissons pas de plus grand contentement tous les deux que d’obliger nos amis et de leur faire honneur.

Il me sembla qu’Huriel faisait en toute occasion sonner un peu ses écus, comme pour dire : « Je suis un bon parti. » Cependant il agit tout aussitôt comme un homme qui se met de côté, car il nous annonça qu’il allait nous quitter.

Sur ce mot-là, Brulette eut un petit frisson que seul je vis, et qu’elle surmonta aussitôt pour lui demander, sans trop paraître s’en soucier, où il allait et pour combien de temps.

— Je m’en vas travailler au bois de la Roche, nous dit-il. Je serai assez près de vous pour revenir vous voir si vous avez besoin de moi ; Tiennet sait le chemin. Je vas de ce pas, d’abord, dans la lande de la Croze chercher mes bêtes et mes équipages, et, en repassant, je vous dirai adieu.

Là-dessus il partit, et le Grand-Bûcheux, enjoignant à sa fille d’avoir grand soin et grand égard pour nous, s’en alla, de son côté, à son ouvrage.

Nous voilà donc restés, Brulette et moi, en compagnie de la belle Thérence, laquelle, tout en nous servant aussi activement que si elle eût été à nos gages, ne paraissait pas vouloir nous faire grande fête, et