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Les Maîtres sonneurs

— Mais vous n’en maudirez pas moins le jour où vous vous êtes confiée à moi ? dit-il en serrant le poing comme si, pour un peu, il eût voulu s’en assommer lui-même.

— Allons, allons, leur dis-je à mon tour, il ne se faut point quereller, à présent que le mal et le danger sont passés. Je reconnais qu’il y a eu de ma faute. Huriel emmenait les muletiers d’un côté et nous eût fait sauver de l’autre. C’est moi qui ai jeté Brulette dans la gueule du loup en croyant la sauver plus vite.

— Le danger n’y était d’aucune façon sans cela, dit Huriel. Certainement, parmi les muletiers, comme parmi tous les hommes qui vivent d’une manière sauvage, il y a des coquins. Il y en avait un dans cette bande-là ; mais vous avez vu qu’il a été blâmé. Il est vrai aussi que beaucoup d’autres parmi nous sont mal appris et plaisantent mal à propos ; mais je ne sais point ce que vous entendez par notre communauté. Si nous sommes associés d’argent et de plaisirs comme de pertes et de dangers, nous respectons les femmes les uns des autres comme tous les autres chrétiens, et vous avez bien vu que l’honnêteté était pareillement respectée pour elle-même, puisqu’il vous a suffi de dire un mot de fierté pour ranger ces hommes-là au devoir.

— Et pourtant, dit Brulette encore fâchée, vous étiez bien pressé de nous faire partir, et il a fallu se sauver vitement, au risque de se noyer dans la rivière. Vous voyez bien que vous n’êtes pas maître de ces mauvais esprits, et que vous aviez grand’peur de les voir revenir à leur méchante idée.

— Tout cela, parce qu’on vous avait vue fuir avec Tiennet, reprit le muletier. On a cru que vous étiez là en faute. Sans votre peur et votre défiance, vous n’auriez même pas été vue de mes compagnons ; mais vous avez eu mauvaise idée de moi tous les deux, confessez-le !