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Onzième veillée

— Eh bien, dit Brulette, restons ici. L’endroit est sec et le temps clair ; et encore que nous soyons en un bois un peu sauvage, je n’aurai point peur avec vous deux.

— Voilà enfin une brave voyageuse ! dit Huriel. Or çà, soupons, puisque nous n’avons rien de mieux à faire. Tiennet, attache le clairin, car nous avons beaucoup d’autres bois avoisinant celui-ci, et je ne répondrais pas de la traîtrise de quelque loup. Déshabille les mules, elles ne s’éloigneront pas de la clochette ; et vous, mignonne, aidez-moi à faire le feu, car l’air est encore humide, et je suis d’avis que vous ne preniez pas de rhume en mangeant bien à votre aise.

Je me sentais le cœur très-découragé et attristé sans pouvoir me dire pourquoi ; soit que j’eusse honte de n’être bon à rien dans un pareil voyage auprès de Brulette, soit que le muletier eût raison de me plaisanter, j’étais déjà comme si j’avais eu le mal du pays.

— De quoi te plains-tu ? me disait cependant Huriel, qui paraissait toujours plus gai, à mesure que nous étions plus en détresse : n’es-tu pas là comme un moine en son réfectoire ? Ces rochers ne sont-ils pas disposés comme pour nous servir de cheminée, de dressoirs et de sièges ? Ne voilà-t-il pas ton troisième repas aujourd’hui ? Cette claire lune d’argent n’éclaire-t-elle pas mieux que ta vieille lampe d’étain ? Nos vivres, bien couverts dans mes bannes, ont-ils souffert de la pluie ? Ce grand foyer ne sèche-t-il pas l’air autour de nous ? Ces branches et ces herbes mouillées n’ont-elles pas meilleure senteur que vos provisions de fromage et de beurre rance ? Est-ce qu’on ne respire pas autrement sous ces grandes voûtures de branches ? Regarde-les, éclairées par la flamme de notre campement ! Ne dirait-on pas des centaines de grands bras maigres qui s’entre-croisent pour nous abriter ? Si, de temps en temps, un petit vent nous secoue la feuillée