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Les Maîtres Sonneurs

qu’un simple galant, et qu’il savait aider beaucoup sans se faire valoir.

Le pays me paraissait de plus en plus vilain. C’était toutes petites côtes vertes coupassées de ruisseaux bordés de beaucoup d’herbes et de fleurs qui sentaient bon, mais ne pouvaient en rien amender le fourrage. Les arbres étaient beaux, et le muletier prétendait ce pays plus riche et plus joli que le nôtre, à cause de ses pâturages et de ses fruits ; mais je n’y voyais pas de grandes moissons, et j’eusse souhaité être chez nous, surtout voyant que je ne servais de rien à Brulette et que j’avais assez à faire pour mon compte de me tirer des viviers et des trous du chemin.

Enfin le temps s’éclaircit, la lune se montra, et nous nous trouvâmes dans le bois de la Roche, au confluent de l’Arnon et d’une autre rivière dont j’ai oublié le nom.

— Restez sur la hauteur, nous dit Huriel ; vous pouvez même y mettre pied à terre pour vous dégourdir les jambes. C’est sablonneux et la pluie n’a guère percé les chênes. Moi, je vas voir si nous pouvons passer le gué.

Il descendit jusqu’à la rivière, et remontant bientôt : — Tous les fonds sont noyés, nous dit-il, et il nous faudrait peut-être remonter jusqu’à Saint-Pallais pour passer en Bourbonnais. Si nous ne nous étions pas arrêtés au moulin de la Joyeuse, nous aurions devancé le débordement, et nous serions rendus à cette heure ; mais ce qui est fait est fait ; voyons ce qui nous reste à faire. L’eau tend à s’écouler. En restant ici, nous pouvons passer dans quatre ou cinq heures, et nous arriverons à notre destination au petit jour, sans fatigue et sans danger ; car entre les deux bras de l’Arnon, nous avons pays de plaine sèche : au lieu que si nous remontons jusqu’à Saint-Pallais de Bourbonnais, nous risquons de barboter toute la nuit pour ne pas arriver plus tôt.