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Onzième veillée

— Voilà bien les gens des pays de blé ! dit-il ; aussitôt qu’ils foulent la bruyère, ils se croient perdus.

Comme il nous conduisait en droite ligne, connaissant, comme son œil, toutes les sentes et coursières par où un mulet pouvait passer pour abréger le chemin, il nous fit laisser Sidiailles sur la gauche et descendre tout droit aux bords de la petite rivière de Joyeuse, un pauvre rio qui n’avait pas la mine d’être bien méchant, et que pourtant il se montra pressé de passer. Quand ce fut fait, la pluie commença de tomber, et il fallait, ou nous mouiller, ou nous arrêter en un moulin qu’on appelle le moulin des Paulmes. Brulette voulait passer outre, et c’était aussi le conseil du muletier, qui pensait ne pas devoir attendre que les chemins fussent gâtés ; mais j’observai que la fille m’étant confiée, je ne devais point l’exposer à attraper du mal, et Huriel se rendit cette fois à mon vouloir.

Nous fûmes arrêtés là deux grandes heures, et quand il fut possible de se risquer dehors, le soleil s’en allait grand train. La Joyeuse avait si bien enflé que c’était une vraie rivière dont le guéage n’eût pas été commode ; heureusement, nous l’avions derrière nous ; mais les chemins étaient devenus abominables et nous avions encore une petite rivière à traverser avant de nous trouver en Bourbonnais.

Tant que le jour dura, nous pûmes avancer ; mais la nuit vint si noire, que Brulette eut peur sans oser le dire. Huriel, qui s’en aperçut à son silence, descendit de cheval, et, chassant devant lui cette bête qui connaissait le chemin aussi bien que lui-même, il prit la bride du mulet qui portait ma cousine et le conduisit bien adroitement pendant plus d’une lieue, le soutenant pour qu’il ne bronchât, et se mettant dans l’eau ou dans les sables jusqu’aux genoux, sans souci de rien pour son compte, et riant chaque fois que Brulette le plaignait, ou le priait de ne pas se tuer pour elle. Là, elle s’avisa bien qu’il était ami plus fidèle et plus secourable