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Les Maîtres Sonneurs

rive, la tête appuyée sur les paniers qu’on avait retirés au mulet pour le soulager, et le visage garanti des mouches par son mouchoir blanc. Je ne sais si elle dormit ; je lui parlai deux ou trois fois sans avoir réponse, et comme elle m’avait laissé mettre ma figure sur le bout de son tablier, je me tins coi aussi, mais sans dormir d’abord, car je me sentais bien encore un peu agité par son voisinage.

Enfin la fatigue me gagna et je perdis ma connaissance pour un bout de temps. Quand elle me revint, j’entendis causer, et connus, à la voix, que le muletier était revenu et s’entretenait avec Brulette. Je ne voulus point déranger le tablier afin de pouvoir les entendre parler librement, mais je le tenais bien serré dans mes mains, et la fillette n’aurait pas pu s’éloigner d’un pas, encore qu’elle l’eût voulu.

— Mais enfin, j’ai le droit, disait Huriel, de vous demander quelle conduite vous avez résolu de tenir avec ce pauvre enfant. Je suis son ami plus qu’il ne m’est permis d’être le vôtre, et je me reprocherais de vous avoir amenée auprès de lui, si votre idée était de le tromper.

— Qui vous parle de le tromper ? répondit Brulette. Pourquoi critiquez-vous mon intention sans la connaître ?

— Je ne la critique pas, Brulette ; je vous questionne en homme qui aime beaucoup Joseph, et qui vous porte assez d’estime pour croire que vous irez franchement avec lui.

— Cela ne regarde que moi, maître Huriel ; vous n’êtes pas juge de mes sentiments, et je n’en dois confidence à personne. Je ne vous demande pas, moi, si vous êtes franc et fidèle envers votre femme !

— Ma femme ? fit Huriel, comme étonné.

— Eh oui, reprit Brulette, n’êtes-vous point marié ?

— Vous ai-je dit cela ?

— Je croyais que vous l’aviez dit chez nous hier soir,