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Dixième veillée

en sa propre cabiole, car je ne vous cache pas que là où nous sommes, vous ne trouverez ni maisons, ni couchée selon vos habitudes.

— Il est vrai, reprit mon oncle, que je suis bien vieux pour dormir sur la fougère, et malgré que je ne sois pas bien complaisant à mon corps, si je venais à tomber malade là-bas, je vous serais d’un grand embarras, mes chers enfants. Or donc, si Tiennet y va, je le connais assez pour lui confier sa cousine. Je compte qu’il ne la quittera d’une semelle dans toute rencontre où il y aurait danger pour une jeunesse, et je compte sur vous aussi, Huriel, pour ne l’exposer à aucun accident en route.

Je fus bien content de cette résolution et me fis un plaisir de conduire Brulette, de même qu’un honneur de la défendre au besoin. Nous nous départîmes à la nuit, et avant la levée du jour, nous nous retrouvâmes à la porte du même logis ; Brulette déjà prête et tenant son petit paquet, Huriel conduisant son clairin et trois mules, sur l’une desquelles il y avait une bâtine très-douce et très-propre où il assit Brulette ; puis il enfourcha le cheval, et moi l’autre mule, un peu étonné de me voir là-dessus. La troisième, chargée de grandes bannes neuves, suivait d’elle-même, et Satan fermait la marche. Personne n’était encore levé dans le village, et c’était mon regret, car j’aurais souhaité donner un peu de jalousie à tant de galants de Brulette, qui m’avaient fait enrager maintes fois ; mais Huriel paraissait pressé de quitter le pays sans être examiné de près et critiqué, aux oreilles de Brulette, pour sa figure noire.

Nous n’allâmes pas loin sans qu’il me fît sentir qu’il ne me laisserait pas gouverner toutes choses à mon gré. Nous étions au bois de Maritet sur le midi, et avions fait quasi la moitié du voyage. Il y avait par là un petit endroit qu’on appelle la Ronde, où j’aurais été content d’entrer et de nous payer un bon déjeuner ;