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Dixième veillée

m’en vas, sans avoir tant seulement le plaisir de me remémorer un jour d’amour et de bonheur. »

Ne pleurez pas, Brulette, continua le muletier en lui prenant la main dont elle s’essuyait le visage ; tout n’est pas encore perdu. Écoutez-moi jusqu’à la fin.

Voyant l’angoisse de ce pauvre enfant, je m’en allai quérir un bon médecin, lequel, l’ayant examiné, nous dit qu’il avait plus d’ennui que de maladie, et qu’il répondait de le bien guérir, s’il pouvait se retenir de sonner et se dispenser de bûcher encore un mois durant.

Quant au dernier point, c’était bien commode ; mon père n’est pas malheureux, ni moi non plus, Dieu merci, et nous n’avons pas grand mérite à prendre soin d’un ami empêché dans son travail ; mais l’ennui de ne point musiquer et d’être là, loin de son monde, privé de voir sa Brulette, sans profit pour son avancement, a fait mentir le médecin. Un mois s’est quasiment passé, et Joset n’est pas mieux. Il ne voulait pas vous le faire assavoir, mais je l’y ai décidé ; et mêmement, je le voulais amener ici avec moi. Je l’avais bien arrangé sur un de mes mulets et vous le reconduisais déjà, lorsqu’au bout de deux lieues, il est tombé en faiblesse, et j’ai été obligé de le reporter à mon père, lequel m’a dit : « Va-t’en au pays de ce garçon et ramène ici sa mère ou sa fiancée. Il n’est malade que de chagrin, et, en voyant l’une ou l’autre, il reprendra courage et santé pour achever ici son apprentissage ou pour s’en retourner chez lui. »

Cela dit devant Joset l’a beaucoup secoué : « Ma mère, criait-il comme un enfant ; ma pauvre mère, qu’elle vienne au plus tôt ! » Mais bien vite il se reprenait : « Non, non ! je ne veux pas qu’elle me voie mourir ; son chagrin m’achèverait trop malheureusement. — Et Brulette ? lui disais-je tout bas. — Oh ! Brulette ne viendrait pas, faisait-il ; Brulette est bonne ; mais il n’est point possible, qu’elle n’ait pas fait choix d’un amoureux qui la retiendrait de me venir consoler. »