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Septième veillée

demande, pour mon payement, de danser avec cette jolie blonde, quand même elle serait déjà engagée.

— Elle est engagée avec moi, Huriel, dis-je au muletier ; mais comme nous sommes amis, je te cède mon droit pour cette bourrée.

— Merci ! répondit-il, en me donnant une poignée de main ; et il ajouta dans mon oreille : — Je ne voulais point avoir l’air de te connaître ; si tu n’y vois pas d’inconvénient pour toi, à la bonne heure !

— Ne dites pas que vous êtes muletier, repris-je, et tout ira bien.

Tandis qu’un chacun me questionnait sur l’étranger, une autre question s’élevait sur la pierre des ménétriers : le père Carnat ne voulait ni jouer, ni faire jouer son garçon. Mêmement, il lui faisait grand reproche de s’être laissé supplanter par un homme inconnu, et plus on voulait arranger la chose en lui disant que cet étranger ne prenait pas d’argent, plus il se fâchait rouge. Il en vint à ne se plus connaître quand le père Maurice Viaud lui dit qu’il était un jaloux, et que cet étranger en remontrerait à tous ceux de son état dans le pays.

Alors, il vint au milieu de nous, et, s’adressant à Huriel, lui demanda s’il avait patente pour cornemuser, ce qui fit rire tout le monde, et le muletier encore plus. Enfin, sommé de répondre à ce vieux enragé, Huriel lui dit : — Je ne sais pas les coutumes de votre pays, mon vieux ; mais j’ai assez voyagé pour connaître la loi, et je sais que nulle part en France les artistes ne payent patente.

— Les artistes ? fit Carnat, étonné d’un mot que, pas plus que nous, il n’avait jamais ouï employer. Qu’est-ce que vous entendez par là ? Est-ce une sottise que vous me voulez dire ?

— Non point ! reprit Huriel ; je dirai les musiqueux, si vous voulez, et je vous déclare que je suis libre de musiquer sans payer aucun droit au roi de France.