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Septième veillée

déjà plus d’une fille. Çà, ne mens pas, je hais le mensonge. Qu’est-ce que tu contais si joyeusement, l’an passé, à la Sylvaine ? Et, il n’y a pas plus d’un mois ou deux, à la grand’Bonnine, que tu fis danser, sous mon nez, deux dimanches de suite ? Crois-tu que je sois aveugle, et que l’on m’en donne à garder ?

Je fus un peu mortifié d’abord, et puis, encouragé par l’idée qu’il y avait un brin de jalousie chez Brulette, je lui répondis bien franchement :

— Ce que je contais à ces filles-là, ma cousine, n’est pas assez joli pour que je le répète à une personne que je respecte. Un garçon peut faire des sottises pour se désennuyer, et le regret qu’il en a ensuite prouve d’autant mieux que son cœur et son esprit n’étaient point de la partie.

Brulette devint rouge ; mais elle reprit aussitôt :

— Alors, Tiennet, tu me peux jurer que mon humeur et ma figure n’ont jamais été rabaissées dans ton estime par la figure et la gentillesse d’aucune autre fille, et cela, depuis que tu es au monde ?

— J’en ferais serment, lui dis-je.

— Fais-le donc : mais donne ton attention et ta religion à ce que tu vas dire. Jure-moi par ton père et ta mère, par le bon Dieu et par ta conscience, qu’aucune ne t’a jamais semblé aussi belle que moi.

J’allais jurer, quand, je ne sais comment, un souvenir me fit trembler la langue. Je fus bien simple, peut-être, d’y faire attention, car ça n’en eût pas valu la peine pour un esprit plus dégourdi que le mien ; mais il ne me fut point possible de mentir, au moment où l’image me revint si claire devant les yeux. Et pourtant, je l’avais oubliée jusqu’à cette heure, et je n’y eusse peut-être jamais repensé, sans les questions et commandements de Brulette.

— Tu n’y vas point vite, dit-elle ; mais j’aime mieux ça : je t’estimerai pour une vérité et te mépriserais pour un mensonge.


M.S.
F