Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
80
Les Maîtres sonneurs

— Oh ! oh ! parles-tu bien sérieusement, cette fois ?

— Cette fois comme les autres. Ça a toujours été très-sérieux de ma part, mêmement quand la honte me faisait tourner la chose en badinage.

— Alors, dit Brulette en doublant le pas avec moi, pour n’être point écoutée de ceux-qui nous suivaient, dis-moi comment et pourquoi tu m’aimes : je te répondrai après.

Je vis qu’elle voulait des louanges et de jolies paroles, et je n’étais pas des plus adroits à ce jeu-là. J’y fis de mon mieux et lui dis que depuis que j’étais venu au monde, je n’avais eu qu’elle dans mon idée, comme étant la plus aimable et la plus belle des filles ; mêmement qu’à l’âge où elle n’avait que douze ans, elle m’avait déjà ensorcelé.

Je ne lui apprenais rien de nouveau, et elle confessa s’en être très-bien aperçue au catéchisme. Mais, me raillant :

— Explique-moi donc, me dit-elle, pourquoi tu n’en es point mort de chagrin, puisque je te rembarrais si bien ? et comment tu as fait pour devenir un gars si fort et si bien portant, encore que l’amour te fît, comme tu prétends, sécher sur pied ?

— Ce n’est point là s’expliquer sérieusement comme tu me le promettais, lui répondis-je.

— Si fait, répliqua-t-elle, c’est sérieux, car je n’aurai jamais de préférence que pour celui qui pourra me jurer de n’avoir regardé, aimé, convoité que moi dans toute sa vie.

— Oh ça, c’est bien, Brulette ! m’écriai-je, et, en ce cas, je ne crains personne, sans exception de ton Joset, qui, j’en conviens, n’a jamais regardé aucune fille, mais dont les yeux ne voient rien, pas même toi, puisqu’il te quitte.

— Laissons Joset, c’est convenu, reprit Brulette un peu vivement, et, puisque tu te vantes de voir si clair, confesse que, malgré ton goût pour moi, tu as reluqué