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nourri par moi, il m’a vue auprès de lui, son appui, son secours, son bien, sa chose, à tous les moments de son existence. Roger et moi, c’est un seul être en deux personnes. Non, non, je ne crains pas mon Roger ; je lui dirai : « Ton père était bizarre, tu le sais bien, il a voulu élever son aîné comme cela jusqu’à sa majorité. J’en ai souffert, mais je me suis soumise, parce que je craignais qu’il n’agît de même avec toi. » Roger ne m’en demandera pas davantage, et il adorera son frère. Oh ! non, ce n’est pas de ce côté-là que le chagrin me viendra jamais.

— Certainement non ; mais M. Roger est bien jeune ; il a des passions, des besoins, et l’habitude d’aspirer à un certain état dans le monde. Le partage des grands biens qui lui incombent apportera un notable changement…

— Un changement salutaire peut-être, Charles ! Je redoute beaucoup cette grande fortune pour Roger, qui est si jeune et si ardent au plaisir. Qu’il soit de moitié moins riche, il fera moitié moins de folies. Cependant la question n’est pas là ; s’il n’y avait que cette considération, elle serait nulle, car les droits de Gaston sont imprescriptibles tant que nous n’aurons pas disposé de son état civil par quelque mensonge jugé nécessaire à son bonheur, mais auquel je répugne beaucoup, je ne vous l’ai jamais caché. Vous me paraissez être dans les idées de M. de Salcède, et je ne saurais vous faire un