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sible à ceci par exemple : que M. de Salcède fût plus habile que moi, qu’il eût découvert mon larcin dès le jour où il avait été commis et qu’il en eût averti la comtesse, que par son conseil elle eût écrit à tête reposée la prétendue lettre à Hélène qu’il m’avait montrée et dont il aurait artistement découpé la dernière ligne pour la rajuster au besoin et me rire au nez en cas d’explication ? Dans cette hypothèse, il avait pu m’attendre de pied ferme, me tancer rudement et enfin m’apaiser avec une feinte générosité pour étouffer à jamais ma méfiance.

À tout cela, il n’y avait rien d’impossible, et il était difficile que, puisque ce raisonnement me venait à l’esprit, un raisonnement analogue ne fût pas déjà entré dans celui de Roger lorsque Salcède lui avait montré la déclaration signée par son père. Salcède m’avait dit : « Je l’ai trouvé froid et calme, il est résolu à faire son devoir. » Donc, Roger estimait avec raison que son devoir était de tout accepter et d’avoir l’air de tout croire ; mais il n’avait pas accueilli les ouvertures de Salcède avec sympathie, et, avec ou sans ma malheureuse intervention, il était pour toujours blessé au cœur par un doute dont aucune preuve possible ne viendrait lui démontrer l’injustice. Et quelle preuve invoquer dans les affaires d’amour ? Qui peut dire, à moins de surprendre deux amants aux bras l’un de l’autre, ou de saisir des