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aime le mieux. Et moi, je lui dirai qu’elle a raison de préférer celui qu’elle a nourri et élevé elle-même. Je l’aiderai à te rendre encore plus heureux par sa tendresse. Quant à ta fortune, je n’en veux pas, je n’en ai que faire. Est-ce que j’ai besoin de fortune, moi qui ai le nécessaire et qui suis habitué au travail ? Tu garderas ton titre, je me trouverais ridicule, moi paysan, d’avoir un titre de noblesse. Je veux rester à Flamarande, je veux être le mari de Charlotte, je serai ton fermier : c’est tout ce qu’il me faut.

» Il avait mis sa tête dans ses mains ; je crois qu’il pleurait de colère, j’aurais voulu le faire pleurer d’attendrissement.

» — Vous me parlez comme à un enfant, me dit-il, et cela ne me convient plus. À partir d’aujourd’hui, je suis un homme ; le malheur met dix années de plus sur ma tête, je le sens bien. Vous me parlez de titres et de richesses comme on promet des dragées à un marmot pour qu’il se tienne tranquille. Sachez, monsieur le comte, qu’élevé en gentilhomme je suis plus gentilhomme que vous, qu’on a élevé en philosophe. Vous avez des idées de paysan : vous supposez que je pleure ma couronne de comte et mes écus ! Vous me faites bien de l’honneur en vérité ! Ce que je pleure, il faut vous le dire, puisque vous ne le devinez pas. Je pleure l’amour de ma mère, que je vais être forcé de troubler et de briser par mon éloignement pour