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frir. Il échapperait à une autorité qu’il n’acceptait pas. Je pouvais lui prendre tout, hormis sa liberté.

» Tout en parlant et se contredisant à chaque parole, comme un homme qui n’a pas sa tête, il avalait coup sur coup je ne sais quelle liqueur de genièvre qu’on lui avait servie.

» — Vous vous enivrez, lui dis-je, vous devenez méchant !

» Et je voulus lui ôter le flacon. Il le reprit en disant :

» — Méchant ? Eh bien, tant mieux ! c’est ce qu’il me faut. Je suis un mouton assez disposé à se laisser tondre. Il faut que je devienne un loup sauvage. Le temps des illusions romanesques est passé. J’ai vécu fils unique, j’y étais habitué. Je vais vivre orphelin, j’aime mieux cela que de vivre esclave !

» Et il voulait boire à ce même maudit flacon que je lui arrachai des mains et que je jetai dans le buisson. Alors, il s’élança sur moi pour me frapper. Je le saisis à la nuque et le fis plier comme un jonc ; mais, en même temps, pris d’amour et de pitié, j’amenai sa tête près de ma bouche et je le baisai au front en lui disant :

» — Tu vois ! je te briserais, si je ne t’adorais pas. Allons, méchant enfant, reviens à toi-même, et retournons ensemble à notre mère, qui nous mettra d’accord en te disant que c’est toi qu’elle