Page:Sand - Les Deux Freres.djvu/200

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Voulez-vous m’attendre ? nous sortirons ensemble.

— Non, monsieur le marquis, j’aime mieux être seul. Je ferai mon devoir, soyez tranquille.

— Eh bien, au revoir et à tantôt, dit M. de Salcède en me tendant la main.

Je fus touché de tant de grandeur d’âme et de bonté. Des larmes longtemps contenues coulèrent sur mon visage et soulagèrent mon cœur. Je revins par la campagne, j’avais réellement besoin d’air et je pleurai librement, j’étais dans un abattement inexprimable. Tout ce que m’avait dit M. de Salcède me revenait à l’esprit et m’écrasait. J’achevais en moi-même le jugement qu’il avait porté sur moi et ma conscience l’aggravait.

— Il ne m’a pas dit, pensais-je, tout ce qu’il devait me dire, il m’a épargné ! J’ai cru que la fin justifiait les moyens, voilà mon erreur, ma condamnation et ma honte ; faire le mal pour amener le bien, il paraît que cela ne réussit jamais, et j’en suis la preuve. Et quand, par-dessus le marché, on se trompe sur le but que l’on poursuit, quand on a fait le mal pour n’arriver qu’à le faire encore, comme cela m’est arrivé en désespérant Roger par des insinuations maladroites, on est si cruellement puni, qu’il faut bien sentir et reconnaître qu’on a eu tort, qu’on a manqué sa vie et qu’on n’améliore pas celle des autres en gâtant la sienne propre. On n’est plus bon à rien quand on s’est laissé devenir