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que je me l’étais toujours imaginé. Peu à peu, combattant toujours mes réponses et voyant l’impatience qu’il me causait, car, je l’avoue, me sentant libre et si près de ma majorité, j’étais fort tenté de l’envoyer au diable, il a cru devoir — et je reconnais qu’il a bien fait — frapper un grand coup pour me faire rentrer en moi-même. Il m’a demandé si j’étais bien sûr d’être fils unique et de pouvoir le prouver. L’écluse était ouverte. Le souvenir de Gaston se réveilla en moi. J’accablai Ferras de questions. Il me fit beaucoup attendre. Nous voyagions tête à tête, il avait le temps de s’expliquer, et il me questionnait à son tour. Quand il vit bien le fond de mon cœur, quand il fut certain qu’au lieu d’être contrarié d’avoir un frère, j’avais le cerveau en feu du désir de le retrouver et de le rendre à ma mère, il me dit tout, après toutefois m’avoir fait jurer sur l’honneur que je vérifierais par moi-même ses assertions et que je verrais mon frère de mes propres yeux avant d’en parler à ma mère. Il ne doutait pourtant pas qu’elle ne m’en parlât la première ; mais il pensait qu’elle hésiterait peut-être un peu, craignant ma jalousie d’enfant gâté. Il ne se trompait pas tout à fait, le digne homme. Il y avait cette jalousie-là en moi, pêle-mêle avec ma joie et ma sincérité ; mais cela s’est dissipé en écoutant le récit de la vie sacrifiée et torturée de ma pauvre maman. Et puis j’ai vu Gaston, je l’ai aimé tout de suite, et j’étais vivement