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fou d’avoir cru que quelqu’un eût pu me faire mal interpréter la vérité. Non ! personne n’y eût réussi, et je déclare que personne ne l’a tenté. Ce qui est arrivé devait arriver. Depuis que j’existe, je sais que Gaston a existé. Son histoire tragique a été la légende de ma première enfance. Plus tard, ma mère, qui s’était résignée à n’avoir plus qu’un fils, a appris que la mort du premier n’était pas prouvée. J’ai vu sa joie, sa douleur, ses espérances, ses inquiétudes, et, quand j’en saisissais vaguement la cause, on me disait : « Ne parlez pas de cela à votre pauvre maman, cela lui fait trop de mal. » Je me suis habitué à ce silence, et puis j’ai oublié absolument le petit frère, car maman, qui l’avait retrouvé et qui allait le voir en secret, paraissait consolée et ne parlait plus jamais de lui. À présent, j’ai à vous dire comment j’ai découvert la vérité, et, quand vous le saurez, mes amis, vous ne le nierez plus.

Je me taisais, voulant savoir s’il y avait encore moyen de lutter contre l’identité d’Espérance avec Gaston. De son côté, Ambroise, absorbé et regardant le feu, était probablement en proie à l’incertitude. Il avait juré de ne point parler. Parlerait-il ? Gaston avait tout à apprendre, puisque, sauf le nom de sa mère, il ne savait rien et ne pouvait rien nier ; mais je lisais dans ses regards la joie profonde de l’entendre justifier par son propre fils.