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et son hôte trouvait moyen de lui faire la conversation sans l’interroger en quoi que ce fût.

— Vous me trouvez bien logé, bien meublé, bien servi, lui disait-il ; tout cela est vrai. Voilà déjà plusieurs années (il n’en disait pas le compte) que je me suis retiré du monde pour me reposer un peu et me refaire des fatigues de la guerre, en attendant les événements. Je vous confesse que, depuis la mort du grand roi Henri, je n’aime plus ni la cour ni la ville. Je ne suis pas un grand pleurard et je prends le temps comme il vient ; pourtant j’ai eu trois grands chagrins dans ma vie : le premier, c’est quand je perdis ma mère ; le second, quand je perdis mon jeune frère ; le troisième, quand je perdis mon grand et bon roi. Et il y a cela de particulier dans mon histoire, que ces trois chères personnes périrent de mort violente. Mon roi assassiné, ma mère par une chute de cheval, et mon frère… Mais ce sont là des histoires trop tristes, et je ne veux point, pour la première nuit que vous passez sous mon toit, vous conter des choses malplaisantes à la veillée. Je vous dirai seulement ce qui m’a jeté dans la paresse et dans la casanerie. Quand j’eus vu expirer mon roi Henri, je me consultai ainsi : Tu as perdu tout ce que tu aimais, tu n’as plus que toi-même à perdre ; or donc, si tu ne veux que ton tour vienne bientôt, tu feras aussi bien de fuir ces pays de trouble et d’intrigue, et d’aller soigner ta pauvre personne affligée et lassée, dans ton pays natal. Vous aviez donc raison de me croire aussi heureux que possible, puisque j’ai pu prendre le parti qui me convenait et me préserver de toute contrariété ; mais vous auriez tort de penser qu’il ne me manque rien ; car, si je ne désire aucune chose, je ne puis pas dire que je ne regrette personne. Mais c’est assez vous régaler de mes peines, et