Page:Sand - Les Beaux Messieurs de Bois-Dore vol1.djvu/175

Cette page n’a pas encore été corrigée

durera plus d’une heure. Allez donc tous les deux en quelque salle où vous ne serez point dérangés, et, quand vous aurez tout dit, vous viendrez nous rejoindre.

Le marquis ne se démonta point de ces plaisanteries. Il n’en était pas venu à la résolution de faire sa demande sans étouffer en lui-même quelques vives appréhensions de cet état de mariage ajourné par lui depuis une quarantaine d’années.

S’il était enfin décidé, c’est parce qu’il voulait faire la fortune et le bonheur de quelqu’un, et, cette idée une fois adoptée, il regardait comme un devoir de ne pas s’en laisser détourner.

À peine donc fut-il au salon, qu’il offrit son cœur, son nom et ses écus en style de l’Astrée, avec cette passion échevelée qui ne parle de rien moins que de tourments effroyables, de soupirs qui pourfendent le cœur, de frayeurs qui causent mille morts, d’espérances qui ôtent la raison, etc. ; tout cela d’une convention si chaste et si froide que la plus farouche vertu ne pouvait s’en effaroucher.

Quand Lauriane eut compris qu’il s’agissait de mariage, elle n’en fut pas aussi étonnée que son père.

Elle savait le marquis capable de tout, et, au lieu d’en rire, elle en eut pitié. Elle avait de l’amitié pour lui, et même du respect pour sa bonté et sa loyauté. Elle sentit que le pauvre vieillard se livrerait à d’interminables brocards, pour peu qu’elle en donnât l’exemple, et que les railleries amicales et modérées dont il était l’objet allaient devenir blessantes et cruelles.

— Non, pensa cette jeune et sage enfant, il n’en sera pas ainsi, et je ne souffrirai pas que mon vieil ami soit la risée des valets. — Mon cher marquis, lui dit-elle en s’efforçant de lui parler dans son style, j’ai souvent