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et le caractère. Il caressait volontiers tout le monde, mais n’était attaché à personne.

Couché aux pieds de Lucilio, il avait regardé avec inquiétude le jeu cruel de l’Espagnol, et le poignard étant tombé deux ou trois fois près de lui, il s’était levé et retranché derrière l’arbre, sans autre souci que celui de sa propre sûreté.

Cependant, comme le jeu continuait, l’animal, qui commençait à sentir ses dents, les montra plusieurs fois en silence, et, se croyant attaqué, eut, pour la première fois de sa vie, l’instinct de la haine de l’homme.

L’œil en feu, le jarret tendu, l’échine hérissée et frissonnante, il était caché à d’Alvimar par la tige colossale de l’il, d’où il guettait le moment favorable, et d’où il s’élança tout à coup pour lui sauter à la gorge.

Il l’eût, sinon étranglé, du moins blessé, s’il n’eût été vigoureusement repoussé par un coup de pied de Lucilio, qui l’envoya rouler à distance.

La brusque interruption du chant et le son plaintif que rendit la musette abandonnée par l’artiste, firent retourner vivement Lauriane.

Ne comprenant rien à ce qui se passait, elle accourut pour voir d’Alvimar, qui, transporté de colère, éventrait l’animal avec son couteau.

Il accomplit cet acte de répression avec toute l’ardeur de la vengeance. Il était facile de voir, sur sa figure pâle et dans son œil injecté, la joie mystérieuse et profonde qu’il éprouvait d’avoir quelque chose à égorger.

Il plongea trois fois l’acier dans les entrailles palpitantes, et, à la vue du sang, sa bouche se contracta d’une manière voluptueuse, que Lauriane, toute tremblante, serra de ses deux mains le bras de Lucilio, en lui disant à voix basse :