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» Je fus jetée au rivage, au milieu des morts et des mourants ; c’était mon salut. Je me traînai dans des rochers où, toute mouillée et toute brisée, m’étant bien cachée et n’ayant pas la force d’aller plus loin, je dormis pour la première fois depuis beaucoup de jours et beaucoup de nuits.

» Quand je m’éveillai, la tempête était finie. Il faisait chaud, j’étais seule. Le navire brisé était à la côte, les morts sur la grève. J’avais faim, mais j’avais encore assez de forces pour marcher.

» Je m’éloignai le plus vite que je pus du rivage, où je craignais de rencontrer des Espagnols, et je m’en allai par les montagnes, mendiant le pain, l’eau et le gîte. On me recevait bien mal ; mon costume inquiétait les paysans.

» Enfin, je rencontrai quelques femmes de ma race qui étaient établies dans un village et qui me donnèrent un habillement ; elles me conseillèrent de cacher ma religion et mon origine, parce que les hommes du pays n’aimaient pas les étrangers et détestaient surtout les Morisques. Il paraît, hélas ! qu’on les déteste partout, car on m’a dit, plus tard, qu’au lieu d’accueillir comme des frères ceux qui purent arriver en Afrique, les Berbères les ont massacrés ou réduits à un pire esclavage que celui de l’Espagne.

» Comment pouvais-je suivre le conseil qu’on me donnait de cacher mon origine ? Je ne savais pas assez bien la langue catalane pour cela. D’abord, on me fit quelque aumône ; mais, quand un Espagnol passait, il disait aux gens du pays :

»

— Vous avez là chez vous une Morisque.

» Et l’on me chassait de partout. Je marchai de vallée en vallée.