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XII.

LUBINS ET LUPINS.


Les lupins (ou lubins) sont des animaux fantastiques qui, la nuit, se tiennent debout le long des murs et hurlent à la lune. Ils sont très peureux, et si quelqu’un vient à passer, ils s’enfuient en criant : Robert est mort, Robert est mort !
Maurice SAND.



Il ne faut pas trop regarder les grands murs blancs au crépuscule, encore moins au clair de la lune. On pourrait y voir la hure. En Normandie et dans plusieurs autres provinces, la hure se promène le long des treilles, on ne sait guère à quelle intention, si ce n’est pour empêcher les enfants d’aller voler le raisin. Elle serait donc au nombre de ces esprits gardiens qui descendent en droite ligne, ainsi que les autres fadets domestiques, des lares vénérés de l’antiquité.

Quoi qu’il en soit, la hure est fort vilaine et il y aurait de quoi mourir de peur si on s’obstinait à étudier son profil reflété sur les murailles. Les Grecs et les Romains avaient l’imagination riante ; ils peuplaient de charmantes divinités les arbres, les eaux et les prairies. Le moyen-âge a assombri toutes ces bénignes apparitions. Le catholicisme, ne pouvant extirper la croyance, s’est hâté de les enlaidir et d’en faire des démons et des bêtes, pour détourner les hommes du culte des représentants de la matière.

Cependant, il n’a pas réussi à les rendre tous haïssables et pernicieux, et bon nombre des esprits de la nuit sont demeurés inoffensifs. C’est bien assez qu’ils aient consenti à revêtir des formes bizarres et repoussantes qui les empêchent de séduire les humains.

Les lubins sont de cette famille. Esprits chagrins, rêveurs et stupides, ils passent leur vie à causer dans une langue inconnue, le long des murs des cimetières. En certains endroits on les accuse de s’introduire dans le champ du repos et d’y ronger les ossements. Dans ce dernier cas, ils appartiennent à la race des lycanthropes et des garous, et doivent être appelés lupins. Mais