Page:Sand - Legendes rustiques.djvu/73

Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’était qu’une ombre ; la vieille femme ne put la saisir, et quand la porte de l’étable fut ouverte, la chèvre sortit, chercha, bêla et rentra, comme si, elle aussi, eût constaté l’illusion qu’elle venait de subir.

J’ai ouï raconter l’histoire d’une pie qui avait appartenu à la Grand’Gothe, une des plus fines sorcières de l’endroit. Cette pie avait appris à parler, et toutes les médisances qu’elle entendait débiter à sa maîtresse, elle les répétait aux passants en manière d’insulte. Si bien que des jeunes gens, lassés d’entendre divulguer leurs petits secrets par cette mauvaise bête, lui tordirent le cou. La Grand’Gothe prédit qu’on s’en repentirait un jour ou l’autre, et mourut elle-même peu de temps après.

Personne ne la regretta, non plus que son vieux frère, le père Grand-Jean, qui n’était pas un mauvais homme, mais qui était si souvent alité qu’on le voyait et ne le connaissait quasiment plus. Les deux vieillards et la pie partirent dans la même quinzaine.

Or, le père Grand-Jean avait rempli jusqu’à sa fin, tant bien que mal, les fonctions de sacristain, qui se bornaient, dans la paroisse supprimée depuis la Révolution, à tenir chez lui les clefs de l’église et à sonner l’Angelus trois fois par jour. Cette pratique n’était nullement obligatoire ; mais les habitants ayant l’habitude d’entendre le son de leur cloche, qui était pour eux une sorte d’horloge, eussent trouvé mauvais que le sacristain s’en dispensât. Et, comme il était trop cassé et trop souvent malade pour n’y pas manquer, sa sœur, la Grand’Gothe, qui se conserva ingambe et verte jusqu’à son dernier jour, sonnait l’Angelus à sa place quand il ne pouvait sortir du lit. On prétend qu’elle était si impie que tout en secouant la vieille cloche, elle débitait et faisait même mille ordures dans l’église, où personne n’osait la suivre.

Tant il y a que, dans l’intervalle de quelques semaines qui s’écoula entre la mort du vieux sacristain et la nomination de son successeur, la cloche sonna d’elle-même, non plus trois fois par jour, mais tous les soirs après le coucher du soleil, sans qu’on vît personne entrer dans l’église. Seulement, on vit la vieille pie voler dans le clocher, et comme on doutait que ce fût la même qui avait été tuée et jetée sur le fumier par les gars du village, on entendit sa petite voix rauque qui recommençait à raconter tous les secrets d’un chacun et à insulter hommes et femmes, jeunes et vieux, sans respect ni ménagement. Et l’on sut par elle bien des choses qui divertissaient les uns et fâchaient les autres. Le pire, c’est que l’on ne savait comment se débarrasser de cette mauvaise âme de pie, car de faire dire des messes pour elle, il n’y fallait point songer. La chose dura jusqu’à ce que le nouveau sacristain prît possession de l’église, et comme c’était un bon chrétien, priant ferme et sonnant dur, le méchant esprit disparut et la cloche n’obéit plus qu’à celui qui avait le droit de la faire chanter.

Naturellement, le souvenir de cette pie fantastique et médisante réveille en nous celui du lupeux, qu’il ne faudra confondre ni avec le lupin, ni avec le lubin, ni avec les autres variétés du loup-garou. Le lupeux est un démon dont la nature n’a jamais été bien définie et dont l’apparaissance varie suivant les localités. C’est encore au pays de Brenne qu’il fait sa résidence, dans ces interminables plaines semées d’étangs immenses qui ont tous leur légende et où vivent les grands serpents donneurs de fièvres, cousins-germains des cocadrilles que l’on aperçoit quand les eaux sont basses, mais que l’on ne peut détruire qu’en desséchant les marécages où ils résident depuis que le monde est monde.