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« Ce bon curé, ayant autrefois servi dans les armées, avait la mauvaise habitude de mêler quelques jurons à ses paroles, mais sans aucunement penser à mal.

« Il n’eut pas plutôt lâché cette imprudente réflexion, qu’il entendit une voix sifflante comme la graisse qui grésille dans une poêle, et cette voix, qui semblait venir de dessous terre, disait : « Si tu veux du feu chaud, on t’en donnera. »

« À ce coup, le curé sentit la peur lui courir dans les cheveux ; mais il ne perdit pas la tête et répondit fort à propos : « Merci, mon camarade d’en bas, je n’ai besoin de rien. »

« Le feu cessa tout-à-coup et la voix parut se renfoncer sous terre en murmurant : « Poltron de curé, va te coucher, va, poltron de curé ! »

« Ce défi irrita l’ancien aumônier de régiment. « Poltron de curé ! fit-il avec sa plus grosse voix, poltron de curé ! Eh bien ! viens donc un peu t’y frotter, toi, le beau flambeur qui te caches sous la terre ? » Et, du bout de son bâton, il fit un grand cercle autour de lui à l’endroit où il avait vu le cercle de feu blanc, riant toujours en disant : « Tu vois, je ne veux pas sortir de là, c’est là que je t’attends de pied ferme, homme ou diable ! »

« Et comme rien ne paraissait ni ne bougeait, il s’escrima de son bâton, frappant devant lui, à droite, à gauche, derrière, partout, et, chaque fois qu’il frappait, il entendait gémir et crier comme si trente diables invisibles eussent reçu la bonne trempée qu’il leur administrait.

« Or, comme ce jeu plaisait à son humeur courageuse, il y prit goût et rage et battit ainsi le diable une heure durant, jusqu’à ce que les cris et les plaintes, qui allaient toujours s’amoindrissant, fissent place à de faibles soupirs et enfin au plus profond silence. Alors le curé, qui s’était mis tout en sueur, sortit du cercle et alla reprendre son cheval qui s’était sauvé non loin de là.

« Quand il se fut essuyé le front et remis en selle, il reprit le chemin de son presbytère et jamais plus ne revit la lueur dans le bois.

« Mais la veille de la fête des trépassés de la même année, il entendit, sur le minuit, frapper à sa porte. Il appela son sacristain, qui lui servait de domestique, et lui dit : On frappe en bas, mon garçon. Va donc voir ce que c’est !

« Le sacristain alla ouvrir et revint, disant : Foi d’homme, monsieur le curé, vous avez rêvé ça, il n’y a personne à la porte.

« Le curé se rendormit ; mais, entendant frapper pour la seconde fois, il se réveilla de nouveau. Il appela encore son valet, qui ne faisait que de se remettre au lit et qui lui jura qu’il se trompait. Pour son compte, il n’avait rien entendu.

« Le curé retournait à son lit, lorsqu’on frappa encore. Jean, dit-il, es-tu devenus sourd ou si c’est un bruit que j’ai dans les oreilles ?

« — Vous l’avez au moins dans la tête, monsieur le curé, répondit Jean ; je n’entends rien que l’horloge de l’église qui dit tic-toc, et la chouette qui dit hou hou dans le clocher.

« Le curé se figura que c’était peut-être un avertissement du ciel pour qu’il eût à se mettre en état de grâce avant de mourir. Mais, comme c’était un homme à vouloir être sûr de son fait, il alluma une lanterne et descendit ouvrir lui-même. — Bonne nuit, monsieur le curé, lui dit une voix qu’il connaissait, sans qu’il pût voir aucune figure. — Bonne nuit, père Cadet, répondit le curé sans