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la laine sur un rouet, et, au lieu de la contempler avec des yeux tendres, il embrouillait et cassait méchamment son brin, afin de pouvoir, pendant qu’elle le raccommodait, se glisser dans l’arche (la huche au pain) et d’y voler les galettes que la ménagère avait mises en réserve pour ses enfants.

S’étant aperçue de ce manège, la bonne femme ne fit semblant de rien et feignant de se baisser, elle ramassa subtilement le fin bout de la longue queue du personnage, l’attacha avec son brin de laine et se mit à la vironner, vironner sur son rouet, comme si ce fût un écheveau.

Le fadet ne s’en aperçut pas tout de suite, occupé qu’il était à se vautrer dans la galette au fromage. Mais quand le rouet eut roulé cinq ou six brassés de queue, il le sentit fort bien et se prit à crier : Ma queue, ma queue. La dévideuse n’en tint pas compte, et, toujours vironnant, se mit à chanter : Pelotte, pelotte, ma roulotte ! d’une si bonne voix et menant si grand bruit avec sa roue, que les autres diables, embusqués sur le toit, n’entendirent pas les gémissements et les imprécations de leur camarade, lequel fut bien forcé de se rendre, et de jurer par le nom du grand diable d’enfer qu’il ne remettrait jamais les pieds dans la maison.

D’après certaines versions, le lutin qui s’amuse à jouiller (embrouiller et mêler) les fils des dévideuses est un esprit femelle, une mauvaise fade. J’ai entendu, dans mon enfance, une vieille qui avait coutume de dire en pareille occasion, la jouillarde s’y est mise ! et elle faisait une croix avec la main pour conjurer et chasser la diablesse.

Ce qu’ailleurs on appelle le gobelin, le , le lutin, le farfadet, le kobbold, l’orco, l’elfe, le troll, etc., etc., en Berry, on l’appelle le plus souvent le follet. Il en est de bons et de mauvais. Ceux qui pansent les chevaux à l’écurie et dont tous les valets de ferme entendent le fouet et l’appri de langue, de même que ceux qui, la nuit, font galoper la chevaline au pâturage, et qui leur jouillent le crin pour s’en faire des étriers (vu qu’ils sont trop petits pour se tenir sur la croupe de l’animal et qu’ils chevauchent toujours sur l’encolure), sont d’assez bons enfants et fuient à l’approche de l’homme. Toute leur malice consiste à faire mourir ou avorter les juments dont on se permet de couper la crinière quand il leur a plu de la tresser et de la nouer pour leur usage. On appelle les montures favorites du follet chevaux bouclés, et autrefois on les estimait comme les meilleurs et les plus ardents. Les juments pansées du follet étaient recherchées en foire comme bonnes poulinières.

Ce follet des écuries existe encore chez nous dans la croyance de beaucoup de gens. Tous les paysans de quarante ans, qui se sont adonnés à l’élevage des chevaux, l’ont vu et en font serment avec une candeur impossible à révoquer en doute. Ils n’en ont jamais eu peur, sachant qu’il n’est pas méchant. Ils le décrivent tous de la même manière. Il est gros comme un petit coq et il en a la crête d’un rouge vif. Ses yeux sont de feu, son corps est celui d’un petit homme assez bien fait, sauf qu’il a des griffes au lieu d’ongles. On varie quant à la queue ; selon les uns, elle est en plumes, selon les autres, c’est une queue de rat d’une longueur démesurée, et dont il se sert, comme d’un fouet, pour faire courir sa monture.

Dans le nord de la France, certains de ces nains sont forts méchants et se plaisent à égarer les voyageurs. Dans la Marche, autour des dolmens, tout esprit est dangereux et hostile à l’homme parce qu’il est préposé à la garde des trésors cachés sous les grosses pierres. Malheur aux curieux