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VI.

LE FOLLET D’EP-NELL.


Sous la pierre d’Ep-nell, un follet de mauvaise race se tient blotti. C’est un follet à queue : ce sont les pires. Au lieu de soigner et de promener les chevaux, ils les effraient, les maltraitent et les rendent poussifs.
Maurice SAND.


Georgeon était le diable de la partie du Berry que l’on appelle la vallée Noire. Je dis était, parce qu’il est fort oublié aujourd’hui et qu’il faut remonter au souvenir des vieillards morts depuis une trentaine d’années, pour repêcher dans le fleuve d’oubli qui passe si vite aujourd’hui, le nom mystérieux qui ne devait jamais être écrit, « ni sur papier, ni sur bois, ni sur ardoise, ni sur pierre quelconque, ni sur étoffe, ni sur terre, ni sur poussière ou sable, ni même sur neige tombée du ciel. » Ce nom terrible, qui présidait aux formules les plus efficaces et les plus secrètes, ne devait être confié aux adeptes de la sorcellerie que dans le pertuis de l’oreille, et il n’était pas permis de le leur dire plus de trois fois. S’ils l’oubliaient, c’était tant pis pour eux. Il fallait financer de nouveau pour obtenir de l’entendre encore.

Ce nom devait, en aucune circonstance, être révélé aux profanes et jamais prononcé tout haut, sinon dans la nuit noire et l’entière solitude. Celui qui me les confia l’avait surpris et n’y croyait point. Pourtant il se repentit de me l’avoir dit et revint me prier de ne pas le répéter. « J’ai mal rêvé cette nuit, disait-il ; par trois fois ma fenêtre s’est ouverte toute grande, sans que personne autre que moi fût entré dans ma chambre. »

Quel était le rang et le titre de Georgeon dans la hiérarchie des esprits de malice ? C’est ce que je n’ai pu savoir. C’est lui qu’il fallait appeler aux carrois ou carrefours des chemins, ou sous certains vieux arbres mal famés, pour faire apparaître l’esprit mystérieux. Avait-il pouvoir par lui-même sur certaines choses de la nature, ou n’était-il qu’un messager intermédiaire entre l’enfer et l’adepte ? Je le croirais : un homme du nom de Georgeon avait été jadis emporté à Montgivray par le diable. C’est peut-être cette mauvaise âme qui faisait dès lors le métier de conduire les autres âmes à le perdition.