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LE COMPAGNON

et de la raconter au salon, où l’on se réunissait de dix heures à minuit, après la sieste du comte.

Pendant ce temps, Amaury avait ouvert la brèche et s’était glissé jusqu’à la porte secrète. Il l’avait trouvée fermée en dedans ; mais l’ayant secouée et s’étant assuré que ce bruit n’attirait personne, il l’avait ouverte avec un crochet. Maintenant, certain de sa victoire, il avait refermé la porte à double tour et emporté la clef.

De retour à l’atelier, il s’empressa de réparer le panneau dont il avait seul découvert l’usage mystérieux. Il le replaça lui-même, afin que personne n’y mit la main et ne fût associé à son secret ; mais il l’arrangea de manière à pouvoir l’enlever sans peine et sans bruit chaque fois qu’il le voudrait ; et cette entreprise terminée, triomphant dans sa pensée des terreurs de la marquise, et défiant Achille Lefort de le supplanter ou tout au moins de le tromper, il alla rejoindre Pierre au moment où celui-ci recevait de son père, pour la centième fois, le conseil de se méfier des bontés de la noblesse.

Dès lors, le Corinthien goûta un bonheur terrible, et qui décida du reste de sa vie. Protégé par l’impunité que lui assurait la conquête du passage secret, il connut l’amour dans toute sa puissance sauvage et dans tous ses raffinements voluptueux. C’était la première fois que Joséphine était aimée, et ce fut la seule fois qu’elle aima. Certes, leur passion n’eut point l’idéal et la chasteté vraiment angélique de celle qu’éprouvaient Yseult et Pierre Huguenin. Tandis que ceux-ci dominaient l’attrait et jusqu’à l’idée de la volupté par l’enthousiasme de l’esprit et l’austérité de la foi, le Corinthien et la marquise, subjugués par l’énergie du désir et par la fougue des sens, s’enivraient de leur mutuelle jeunesse et de leur égale beauté. Mais du moins c’était un amour sincère, et pur d’une certaine façon ; car ils croyaient l’un à l’autre, et