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LE COMPAGNON

à le voir de la lucarne étroite de l’usage et des convenances sociales, c’était, quelque chose d’absurde et de révoltant. Achille voyait les deux faces, admirant l’une et se divertissant de l’autre, avec cette rancune profonde que la race bourgeoise nourrit contre la race patricienne.

Il ne manquait donc aucune occasion de mettre en rapport la châtelaine et l’artisan. C’était lui qui, à l’heure de la sieste quotidienne du grand-père, entraînait la jeune fille, d’arguments en arguments politiques, jusqu’à l’allée du parc réservé. Ce fut donc grâce à lui que Pierre entendit avec quelle sympathie Yseult s’exprimait sur son compte. Il s’étonna de l’ardeur que Lefort mit à renchérir sur ses éloges, et il remarqua qu’il ne fut point question d’aller voir les oiseaux. Quand la nuit fut tout à fait venue, et qu’on eut perdu l’espérance de le voir, on retourna au château ; et Pierre, délivré de sa jalousie, ivre de joie, alla souper chez son père avec le Berrichon, à qui il trouva de l’esprit, et le père Lacrête, qui lui sembla avoir du génie, tant il était porté à la bienveillance ce soir-là. — À la bonne heure, lui dit le père Huguenin, te voilà joyeux et bon enfant ! Sais-tu, Pierre, que tu as souvent de trop grands airs avec ta famille ? Tu fréquentes trop les nobles, mon enfant ; ça gâte le cœur et l’esprit.

Il n’y avait alors d’étranger au château que Lefort. M. Lerebours était occupé au pressoir à voir fermenter la vendange nouvelle. Raoul passait sa vie dans les châteaux voisins, où il s’amusait davantage, et où il n’était pas obligé de se tenir à quatre pour s’empêcher de souffleter ce philosophe crotté, ce philanthrope de carrefour, ce législateur d’estaminet, eu un mot ce cuistre de M. Lefort.

Il y a dans la vie de château des heures d’impunité qui passent toute vraisemblance. Les deux jeunes dames traversaient une de ces phases où tout semble favoriser l’ou-