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LE COMPAGNON

d’un boulingrin parsemé de plates-bandes en corbeilles. Autour de cette pièce de gazon une double rangée d’arbres et d’arbustes formait une allée circulaire. Un treillage en bois fermait le tout. Pierre rencontrait ordinairement mademoiselle de Villepreux à peu de distance de cet enclos. Lorsqu’elle était avec Achille, elle les y introduisait tout deux. Lorsqu’elle était seule, elle faisait quelques tours de promenade devant la porte d’entrée avec Pierre ; et quand elle jugeait que l’entrevue avait été assez longue, elle entrait dans son parterre, après lui avoir souhaité le bonsoir avec une grâce simple et chaste que Pierre comprenait et respectait jusqu’à l’adoration. Il s’éloignait alors rapidement, et allait attendre sa sortie au bout de l’allée, caché dans un massif. Il était heureux de la voir passer ; et quand la nuit était trop sombre pour qu’il distinguât sa forme légère, il était heureux encore d’entendre le frôlement de sa robe dans les herbes. Pour rien au monde Pierre n’eût voulu, dans ce moment, s’approcher d’elle. Il sentait le prix de la confiance qu’elle lui accordait en l’abordant toujours avec bienveillance, et il comprenait ce qui est convenable et ce qui ne l’est pas, beaucoup mieux que certaines gens à qui l’usage du monde ne donne jamais ni tact ni mesure. Ainsi, il faisait, au sujet de ces promenades et de ces rencontres, des observations aussi délicates qu’eût pu les faire l’homme de mœurs les plus exquises. Il remarqua, entre autres choses, que de même que mademoiselle de Villepreux n’entrait jamais seule avec lui dans le parc réservé, elle n’y entrait jamais seule non plus avec Achille. Les jours où il arrivait le dernier à ces tacites rendez-vous (ce qui était bien rare), il la trouvait avec le jeune carbonaro, descendant et remontant l’allée extérieure ; et lorsqu’ils avaient fait quelques tours à eux trois, elle disait gaiement : — Allons voir les oiseaux ! On entrait dans le par-